Chroniques

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La détention de la licence appropriée : une obligation, de la soumission à la publication de l’avis d’hypothèque légale

Par Me Jean-Philippe Asselin et Me Ludovic Obregon-Marchand / De Grandpré Chait

 

 

Dans le cadre d’un contrat public ou privé, la détention de la licence adéquate émise par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) revêt d’une grande importance pour l’entrepreneur général. En effet, la disqualification de l’entrepreneur dans le processus d’appel d’offres, l’émission de sanctions de nature pénale, la radiation de l’hypothèque légale, l’annulation du contrat ainsi que l’impossibilité pour un client de réclamer auprès du cautionnement de licence sont toutes des conséquences susceptibles d’être rencontrées par un entrepreneur qui omettrait de détenir ou de maintenir une licence appropriée.

i. Le fait de ne pas détenir la licence appropriée au moment du dépôt d’une soumission dans le cadre d’un appel d’offres public constitue une dérogation majeure au principe de l’égalité des soumissionnaires.

La détention d’une licence de construction appropriée représente une obligation essentielle à l’octroi d’un contrat dans le cadre d’un appel d’offres public. En effet, la Loi sur le bâtiment et les règlements qui en découlent prévoient l’interdiction pour un entrepreneur de soumissionner, d’effectuer ou de faire effectuer des travaux à l’égard desquels il ne détient pas la licence appropriée1.

Dans l’affaire P.E. Pageau inc. c. Société des établissements de plein air du Québec2, la Cour supérieure est appelée à déterminer si le maître de l’ouvrage a l’obligation d’indiquer dans les documents d’appel d’offres qu’une licence particulière est requise pour l’exécution des travaux à être réalisés. La Cour en vient à la conclusion que la Loi sur le bâtiment est une loi d’ordre public, puisqu’elle vise la sécurité du public, en assurant que les ouvrages soient exécutés selon les règles de l’art, par des professionnels qualifiés. Par conséquent, il en découle que le maître de l’ouvrage n’a aucune obligation de préciser les licences qui seraient requises et que c’est plutôt à l’entrepreneur de s’assurer qu’il soit en mesure d’exécuter les travaux sur lesquels il soumissionne. Il s’agit non pas d’une obligation contractuelle, mais bien d’une exigence légale. Ainsi, la Cour conclut que l’entrepreneur qui ne possède pas la licence appropriée au moment du dépôt de sa soumission se trouve alors dans l’impossibilité de conclure le contrat avec le maître de l’ouvrage et qu’il est « impossible » de remédier à une telle erreur sans débalancer l’équilibre qui doit exister entre les différents soumissionnaires. À défaut par l’entrepreneur de détenir les licences appropriées, le maître de l’ouvrage pourrait estimer qu’une telle soumission est non conforme et ainsi la rejeter.

ii. Le fait d’exécuter des travaux sans licence ou avec une licence restreinte dans le cadre d’un contrat public constitue une infraction de nature pénale.

L’entrepreneur qui se serait fait imposer une restriction à sa licence ne pourra ni soumissionner sur un contrat public, ni conclure de contrat public dans l’éventualité où celui-ci ne ferait pas l’objet d’un appel d’offres public3. De plus, dans le cas où la RBQ émettrait une restriction sur la licence d’un entrepreneur pendant que celui-ci exécute ses travaux dans le cadre d’un contrat public, ce dernier devra alors mettre fin à un tel contrat à moins d’obtenir l’autorisation de la RBQ de poursuivre ses travaux4. Une telle autorisation est généralement accordée dans des situations très particulières.

Le non-respect de ce qui précède est passible de pénalités importantes.

Il est finalement à noter que l’impossibilité pour l’entrepreneur de compléter son contrat suite à l’émission d’une restriction de licence ne constitue aucunement un moyen de défense dans le cadre d’une action en dommages entreprise par le maître de l’ouvrage pour récupérer l’augmentation des coûts qu’il a dû débourser suite à la conclusion d’un contrat avec un nouvel entrepreneur.

iii. Le fait de ne pas détenir la licence appropriée au moment de la publication d’un avis d’hypothèque légale permet au propriétaire de réclamer la radiation de l’avis d’hypothèque légale en vertu des dispositions de l’article 50 de la Loi sur le bâtiment.

Les entrepreneurs sont généralement bien au fait qu’ils ont la possibilité d’être titulaire d’une hypothèque légale sur l’immeuble faisant l’objet de l’ouvrage, dans l’éventualité où le client refuse, néglige ou omet d’acquitter les paiements dus à l’entrepreneur.

Or, le maintien en vigueur d’une licence adéquate émise par la RBQ pour les travaux entrepris est une condition essentielle à la validité d’une telle hypothèque légale. Si le propriétaire n’a pas été mis au courant du fait que l’entrepreneur n’était pas titulaire d’une telle licence, l’hypothèque, bien qu'autrement conforme, pourrait alors être radiée à la demande du propriétaire5.

Dans l’affaire Blü Y.M. Électrique inc. et 9376-1104 Québec inc6., la Cour supérieure indique que la validité de l’hypothèque légale en faveur de l’entrepreneur est subordonnée à la détention par ce dernier d’une licence en vigueur non seulement au moment de la réalisation des travaux, mais également au moment de la dénonciation ainsi que lors de l’inscription de l’hypothèque légale.

Ainsi, la Cour effectue une revue de la jurisprudence, en rappelant qu’un entrepreneur qui aurait complété ses travaux, mais ne disposerait plus d’une licence valide ou adéquate au moment de l’enregistrement de l’hypothèque légale pourrait se voir opposer la radiation d’une telle hypothèque légale.

Cette mesure peut sembler rigoriste, mais les tribunaux l’ont interprété comme s’inscrivant dans l’objectif plus large de la Loi sur le bâtiment, soit la protection du public et la qualité des travaux de construction effectués par les entrepreneurs.

Par conséquent, un entrepreneur doit s’assurer de maintenir en vigueur sa licence de construction tout au long du processus contractuel, incluant le moment où l’hypothèque légale est publiée, afin d’éviter sa radiation. L’entrepreneur qui souhaite mettre fin aux activités de son entreprise suivant la réalisation d’un ultime projet devrait particulièrement agir avec prudence afin d’éviter que sa licence soit annulée préalablement à l’enregistrement d’une hypothèque légale.

iv. Le fait de ne pas détenir la licence appropriée au moment du dépôt d’une soumission dans le cadre d’un contrat privé peut constituer une infraction pénale ou un motif pour demander la résolution du contrat.

Le défaut pour un entrepreneur de détenir ou de maintenir une licence appropriée peut également entrainer différentes conséquences à son encontre, dont notamment l’introduction de poursuites pénales et une demande d’annulation du contrat intervenu.

En effet, la Loi sur le bâtiment et les règlements qui en découlent interdisent, sous peine d'imposition de pénalités importantes, à quiconque de notamment présenter, directement ou par personne interposée, des soumissions dans le but d’exécuter ou de faire exécuter à son profit des travaux de construction, sans être titulaire d’une licence ou en étant titulaire d’une licence n’ayant pas les catégories ou sous-catégories appropriées7.

De plus, le client qui n’est pas lui-même entrepreneur pourrait également réclamer l’annulation du contrat conclu avec l’entrepreneur qui ne détient pas la licence requise8. Le client n’a toutefois pas à établir la preuve d’un quelconque préjudice, le seul fait pour l’entrepreneur de ne pas détenir la licence appropriée étant suffisante. Le cas échéant, il n’y a alors pas place à une demande en enrichissement injustifié de la part de l’entrepreneur.

Cependant, dans l’affaire 9046-5014 Québec inc. c. Triassi9, la Cour précise qu’une telle demande d’annulation du contrat sera rejetée si l’entrepreneur est en mesure de prouver que le client savait qu’il n’était pas titulaire de la licence appropriée. Le cas échéant, le fardeau d’une telle preuve incombe à l’entrepreneur.

Vu ce qui précède, l’entrepreneur qui exécute des travaux, même exclusivement de nature privée, à tout intérêt à détenir et à maintenir en vigueur les licences appropriées pour l’exécution des travaux qu’il souhaite exécuter ou faire exécuter.

v. Le fait de ne pas détenir la licence appropriée au moment de la dénonciation du défaut de paiement à la caution peut parfois constituer un cas de défaut en vertu du cautionnement de licence.

L’obtention d’un cautionnement de licence est une condition essentielle à l’octroi de certaines licences d’entrepreneur10.

Or, le défaut pour un entrepreneur de détenir et de maintenir une licence appropriée aux travaux exécutés peut entraîner le refus par la caution ayant émis le cautionnement de licence d’indemniser un éventuel réclamant.

Dans l’affaire Régie du bâtiment du Québec c. Tribunal administratif du travail11, récemment confirmée en appel12, la Cour supérieure devait déterminer si la caution, dans le cadre d’un cautionnement de licence, était tenue d’indemniser le client à la suite de travaux mal réalisés, alors que l’entrepreneur ne détenait pas la licence appropriée pour les exécuter. La Cour en arrive à la conclusion que la caution n’est pas tenue d’indemniser le client, puisque le cautionnement de licence ne saurait viser l’ensemble des obligations de l’entrepreneur. Au contraire, un tel cautionnement ne vise que les catégories et sous-catégories de licences à l’égard desquelles il est émis.

Ainsi, le cautionnement de licence ne vise pas l’ensemble des inexécutions contractuelles, mais se limite plutôt aux obligations liées aux licences réellement détenues par l’entrepreneur. Conséquemment, tout acte posé sans détenir la licence appropriée ne serait donc pas couvert par le cautionnement de licence.

En conclusion, que l’entrepreneur exerce ses activités principales dans le cadre de contrats publics ou privés, le maintien de la licence adéquate est d’une importance primordiale et ce, pour maintes raisons. Être titulaire d’une licence appropriée permettra ainsi à l’entrepreneur de se conformer à la législation applicable à cet effet, en plus d’éviter de fâcheuses conséquences.

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