Par Me Julie Gaudreault-Martel et Me Laurence V. Dandurand / De Grandpré Chait
Les exigences en matière fiscale dans le domaine de la construction sont les mêmes que celles de toute entité exploitant une entreprise au Québec. Cependant, au fil des ans, les autorités fiscales ont identifié certains enjeux plus spécifiques au domaine de la construction, soit:
- La fausse facturation;
- Le travail au noir;
- Les dépenses personnelles payées à même la société;
- L’utilisation des biens de l’entreprise à des fins personnelles.
Les entreprises, à l’instar de tout contribuable, sont soumises à deux types d’intervention de la part de l’État en matière fiscale: la vérification civile et l’enquête en matière pénale et criminelle.
La vérification fiscale: les objections visées par les autorités fiscales
La vérification fiscale, prévue à la section VI (vérification et enquête) de la Loi sur l’administration fiscale1, vise à détecter les problématiques mentionnées ci-dessus et est conduite par un vérificateur représentant une des deux autorités fiscales (provinciale ou fédérale).
Les autorités fiscales disposent de plusieurs moyens de vérification, à savoir des visites régulières, des activités de prévention, des interventions à l’improviste, des demandes de documents précis ou d’entrevue, ou tout simplement des demandes d’information auprès des partenaires gouvernementaux, à savoir la RBQ, l’AMP, la CCQ ou la CNESST, pour ne nommer que ces exemples, sans compter la vérification des registres gouvernementaux existants.
Les renseignements généralement requis par la vérification fiscale peuvent viser l’ensemble ou une partie d’un projet de construction, soit notamment:
- Liste détaillée des coûts de main-d’œuvre;
- Les bons de travail internes;
- Liste de fournisseurs et de sous-traitants;
- Les attestations de conformité de la CNESST;
- Les états de situation de chantier produits à la CCQ;
- Les avis d’ouverture et de fermeture de chantier; et
- L’intégralité des données cumulées et/ou générées par les logiciels utilisés dans le domaine.
En consultant l’ensemble de ces documents, les autorités fiscales chercheront à faire des liens avec les informations financières inscrites aux Livres comptables qui permettent la déclaration des revenus pour une année fiscale. Les autorités fiscales s’assurent ainsi qu’il n’y a pas d’incongruité ou des montants cachés.
Les obligations des entrepreneurs en matière fiscale
Évidemment, l’objectif principal visé par les autorités fiscales est la conformité aux lois et la déclaration de tous les revenus d’une entreprise.
L’entrepreneur a l’obligation de coopérer avec les autorités fiscales dans le cadre d’une vérification, sauf s’il s’agit d’une enquête au niveau pénal ou criminel. Le manque ou l’absence de collaboration (en matière civile) expose l’entreprise à diverses sanctions2, telles l’ajout de revenus considérés comme non déclarés, le refus de crédit de taxes (ce qui fait augmenter la facture de TPS/TVQ) ou l’ajout d’avantages à l’actionnaire3.
De façon générale, étant dans un système d’auto-déclaration, il appartient au contribuable de déclarer l’ensemble de ses revenus et de se conformer aux règles fiscales en vigueur. Par conséquent, l’entrepreneur doit s’assurer de conserver les renseignements requis par les lois fiscales pendant une période d’au moins six ans. Sachez cependant que si vous voulez « détruire » cette documentation après la période de 6 ans visée par la loi, vous devez en demander la permission par voie de formulaire auprès des agences fiscales.
Il est cependant recommandé de conserver la documentation fiscale pour une période de 10 ans… juste au cas!
Les risques associés à la non-collaboration à une vérification fiscale et à une déclaration de culpabilité d’une enquête pénale ou criminelle
Tel que mentionné plus haut, l’entreprise qui ne collabore pas avec les autorités fiscales dans le cadre d’une vérification s’expose à diverses sanctions visant principalement à majorer son revenu selon l’évaluation qu’en feront les autorités fiscales. Cela pourrait engendrer un long débat avec les autorités fiscales s’étendant sur plusieurs années.
Évidemment, une fois que les autorités fiscales ont épuisé les mécanismes de demande d’information, la Loi confère la possibilité pour ces dernières de s’adresser au Tribunal via une demande péremptoire de produire des documents et renseignements lorsque l’entreprise refuse ou néglige de le faire4. Le non-respect de ces demandes engendre des infractions en matière pénale dont les montants ne sont pas négligeables.
En dernier recours, les autorités fiscales sont autorisées à estimer le revenu en utilisant des méthodes alternatives de calcul. Bien que ces méthodes puissent être contestées par la suite, la non-collaboration du contribuable lors d’une vérification joue, plus souvent qu’autrement, en sa défaveur dans le processus de contestation.
Finalement, il peut y avoir d’autres conséquences fâcheuses qui pourraient nuire aux activités quotidiennes de l’entreprise. Par exemple, les autorités fiscales peuvent annuler le certificat d’inscription au niveau de la TPS/TVQ, suspendre, révoquer ou refuser de délivrer une attestation au niveau de la TPS/TVQ affectant ainsi l’obligation de l’entrepreneur de fournir une telle attestation, notamment dans le cadre de contrats publics.
Les autorités fiscales bénéficient également de larges pouvoirs en matière de saisie, ce qui peut également nuire à la capacité de paiement d’une entreprise.
Mieux vaut donc être en mesure de fournir ce que l’on vous demande!
Rappel: L’impact d’une déclaration de culpabilité d’une infraction fiscale
Il est important de noter qu'une déclaration de culpabilité pour une infraction fiscale dans le cadre d'une enquête pénale ou criminelle peut affecter directement la licence de l'entrepreneur émise par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ)5.
En effet, la licence d’entrepreneur peut être suspendue dans des cas par exemple où l’entreprise, ou l’un de ses dirigeants, a tenté d’éluder l’impôt par un stratagème d’accommodation de travail au noir6 ou de confection de faux documents et de fausses écritures7, a falsifié une attestation de Revenu Québec8, a fait de fausses déclarations9, etc. D’ailleurs, l’entreprise a l’obligation d’aviser la RBQ en cas de déclaration de culpabilité10. Les infractions de nature purement criminelle peuvent donner lieu à des mesures plus sévères, tel l’annulation de la licence.
Une infraction à une loi fiscale peut également affecter la possibilité d’obtenir ou de maintenir en vigueur l’autorisation émise par l’Autorité des marchés publics (AMP)11 de conclure des contrats et des sous-contrats publics et sur la licence émise par la Régie du Bâtiment («RBQ»). L’entreprise peut également courir le risque d’être inscrite sur le Registre des entreprises non autorisées (RENA), l’empêchant ainsi de soumissionner sur des contrats ou sous-contrats publics pendant une période déterminée. Une telle inscription pourrait également suspendre l’exécution d’un contrat en cours.
Enfin, toute déclaration de culpabilité à une infraction pénale peut faire l’objet d’une certaine publicité de la part des autorités fiscales, via des publications sur le site de Revenu Québec, sans compter la mauvaise publicité d’un procès dont le dénouement n’est pas favorable.
La prudence et la collaboration sont donc de mise en matière fiscale pour toute entreprise, et ses dirigeants, œuvrant dans le domaine de la construction.
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1 Voir également l’article 288 et suivants de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C 1985, c E-15).
2 Article 39.2 de la Loi sur l’administration fiscale, RLRQ c. A-6. 002.
3 Revenu additionnel sur lequel l’actionnaire doit s’imposer.
4 Supra, note 2.
5 Articles 60 et 70 de la Loi sur le bâtiment, RLRQ c. B-1.1.
6 Constructions Plante & Fils inc. (Re), 2010 CanLII 38210.
7 Régie du bâtiment du Québec c. Northern Construction & Suppliers LTD, 2013 CanLII 65612 (QC RBQ).
8 Régie du bâtiment du Québec c. Enviro Transpex inc., 2024 QCQRB 61.
9 Régie du bâtiment du Québec c. Les Constructions Matrix inc., 2013 CanLII 85177 (QC RBQ).
10 Article 67, Loi sur le bâtiment, RLRQ c. B-1.1.
11 Article 21.4 et Annexe I de la Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ c. C-65.1.