Chroniques

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Les travaux non-prévus au contrat: qui doit prouver quoi?

Par Me François Bélanger et Pierre-Olivier Tremblay-Simard, Lavery Avocats

Le 27 mai 2021, la Cour du Québec, sous la plume de l’honorable Daniel Lévesque, a rendu un jugement fort intéressant dans l’affaire A3G Isolation inc. c. Construction Bugère inc.1 en matière de travaux supplémentaires non-initialement prévus au contrat. A3G Isolation (« A3G ») est une entreprise qui est spécialisée en travaux d’isolation des systèmes mécaniques compris à des bâtiments industriels, commerciaux et institutionnels. Elle avait pour mandat de réaliser l’isolation de la ventilation installée au sein du chantier de réfection des locaux des laboratoires de Santé Canada à Longueuil.

Les faits

Le 25 février 2017, le Ministère des Travaux publics et Services Gouvernementaux du Canada octroie à Construction Bugère (« Bugère ») le contrat d’entrepreneur général pour le chantier de réfection des locaux des laboratoires de Santé Canada à Longueuil. A3G Isolation (« A3G ») est une entreprise qui est spécialisée en travaux d’isolation des systèmes mécaniques compris à des bâtiments industriels, commerciaux et institutionnels. Lorsqu’elle soumissionne afin d’obtenir le contrat de sous-traitance, A3G se fonde sur les documents d’appel d’offres et les plans et devis préparés par la firme Pageau Morel qui prévoyait l’installation d’une couche double d’isolant protégée par une gaine imperméable. Tel que requis par le contrat qu’elle a conclu, A3G transmet ses dessins d’atelier, conformes aux plans et devis et prévoyant un isolant non flexible en fibre de verre, à Bugère afin qu’ils soient approuvés.

A3G réalise donc les travaux qu’elle a préalablement soumis à Bugère et qui constituent le travail qu’elle s’est engagée à livrer. Suivant la finalisation de ses travaux, Bugère demande à A3G de reprendre les travaux d’isolation qu’elle considère déficients afin de les réaliser avec une pente, et ce, afin d’éviter la création de zones d’eau stagnante. Bugère n’a jamais exprimé d’opposition ou d’indication à l’effet que les travaux n’étaient pas conformes alors qu’il était aisé de constater que les travaux réalisés ne comportaient aucune pente.

Aux yeux de A3G, cette demande constitue un changement des travaux puisqu’elle implique l’utilisation de matériaux tout à fait différents; ce que confirme le juge Lévesque. En effet, dans le cadre de l’isolation d’une ventilation, ces pentes ne pouvaient être réalisées qu’avec un styromousse sculpté spécifiquement pour correspondre aux besoins de l’utilisateur. Dans le contexte du litige, les plans et devis ne prévoyaient pas l’utilisation d’un matériau de ce type.

A3G prétend, et avait raison de prétendre, que l’existence d’une pente est un choix technique relavant de la responsabilité du concepteur de l’ouvrage. Ainsi, elle était en droit de se fier aux plans et devis qui lui avaient été fournis. Ce n’était donc pas son rôle de remettre en question les choix du concepteur qui avaient été réfléchis par des personnes spécifiquement mandatées pour les réaliser. Comme le rappel A3G, sa soumission a été réalisée en fonction de ce qui était réellement prévu dans les documents d’appel d’offres et ne prévoyait en aucun cas les coûts afférents à une méthode de travail différente impliquant des matériaux différents.

Étant de bonne foi dans l’histoire, A3G décide tout de même de reprendre les travaux tout en affirmant que ceux-ci ne sont pas prévus au contrat, qu’elle a conformément réalisé ce que le contrat prévoyait, qu’elle est en droit d’être rémunérée pour ceux-ci et agit sous protêt en indiquant qu’elle réclamera les frais engendrés. Ainsi, A3G réclame une rémunération distincte pour des travaux qui sont étrangers à ceux qu’elle devait réaliser.

Rendu au tribunal, Bugère a finalement admis que le donneur d’ouvrage et le surveillant de chantier n’ont pas requis que la surface des canalisations présente une pente et qu’aucune protestation n’est intervenue en cours de chantier.

Le droit

Pour A3G, il s’agit tout simplement d’une modification des travaux en cours d’exécution. Une situation relativement fréquente en construction, mais qui se doit toutefois d’avoir des conséquences pour le donneur d’ouvrage. Celui-ci devant ainsi assumer les coûts supplémentaires que ses demandes engendrent.

En agissant sous protêt, A3G évite un préjudice certain à Bugère puisque ce dernier se serait vu obligé d’embaucher un tiers afin de réaliser les travaux visant à créer une pente. La réalisation sous protêt impliquera toutefois le paiement des travaux dû si la responsabilité du donneur d’ouvrage est retenue. Ainsi, dans le contexte d’une prestation de service sur un chantier de construction où les délais sont d’une importance certaine, l’exécution d’une prestation sous protêt peut contribuer à réduire les dommages et le défaut d’y procéder peut être opposé à son auteur dans l’appréciation de sa responsabilité à cet égard2.

La réalisation sous protêt a un impact majeur sur l’identification des épaules qui supporteront le fardeau de la preuve selon la balance des probabilités si un litige D’un côté, Bugère prétend que les travaux réalisés par A3G sont incomplets, non conformes aux plans et devis et qu’ainsi le contrat n’est pas exécuté correctement. De l’autre, A3G prétend que les travaux ne relevaient pas de sa responsabilité, mais qu’elle les a réalisés pour éviter un préjudice certain à Bugère en réduisant les délais de correction et en limitant les frais associés.

Le fait qu’A3G ait agi sous protêt et que les parties aient convenu qu’A3G en réclamerait les frais liés fait en sorte que Bugère, donc l’entrepreneur général, a la charge de prouver qu’A3G était tenu de réaliser à ses frais les travaux. Le juge Lévesque assimile cette situation à celle où l’entrepreneur général prétend que l’ouvrage réalisé par son sous-traitant est déficient et réclamerait le coût afférent aux déficiences et défaut d’exécution des obligations contractuelles.

La responsabilité de Bugère est finalement retenue à 100 % puisqu’elle n’a pas fait la preuve que A3G avait l’obligation positive de remettre en question le travail des concepteurs des plans et devis et qu’elle déclare par son inaction en cours d’exécution que les travaux étaient conformes.

À retenir

Dans le contexte précis des chantiers de construction où les échéances sont d’une importance capitale, la réalisation de travaux supplémentaires sous protêt devient un outil permettant de réduire les impacts sur le chantier. Les frais afférents aux travaux risquent ainsi d’être réduits tout comme le retard du chantier.

L’impact juridique est toutefois existant ! En effet, l’entrepreneur général acceptant la réalisation de ces travaux sous protêt portera le fardeau de prouver par une preuve prépondérante (50 % +1) que son sous-traitant était contractuellement tenu de réaliser les travaux concernés par la réclamation. Il s’agit ainsi de la situation similaire à celle où l’entrepreneur général prétend que l’ouvrage réalisé est déficient.

Il est à noter que cette situation ne s’applique pas à des travaux prévus au plan et au contrat ou encore à des travaux non prévus aux plans et devis, mais qui étaient nécessaires pour que l’ouvrage soit conforme aux règles de l’art3.

1. A3G Isolation inc. c. Construction Bugère inc., 2021 QCCQ 4279 2. Id., par. 78 3. Alftar Construction inc. c. La Reine, [1980] 2 C.F. 289; Alain Lavoie Ltée c. Société d’habitation du Québec (2 juillet 1987), Chicoutimi, no 150-05-000656-829 (C.S.).

 

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