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Que devient la procédure contractuelle de réclamation en cas d'avenant ?

Article rédigé par Me François Bélanger et Me Frédéric Laflamme Avocats en droit de la construction, Lavery Avocat

Dans le récent arrêt Procureur général du Québec c. Opron inc. 1 , la Cour d’appel du Québec reconnaît que la procédure de réclamation prévue dans un contrat liant le ministère des Transports du Québec («MTQ») à un entrepreneur général est inapplicable lorsque que les sommes réclamées relèvent d’un avenant conclu en cours d’exécution des travaux et non du contrat lui-même, et ce, alors même que le prix demeure inconnu au moment de la conclusion de l’avenant.

De plus, dans son analyse des montants à octroyer à l’entrepreneur général, la Cour d’appel écarte le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics («RCTCOP»). Ce règlement inclut pourtant une annexe qui énonce les coûts de main-d’œuvre, de matériaux et d’équipement qui peuvent être réclamés à la suite d’un ordre de changement émis par un organisme public. Selon la Cour d’appel, devant un contrat clair, le RCTCOP est un outil d’interprétation à l’utilité, somme toute, limitée.

I - Les faits

En 2008, au terme d’un appel d’offres, le MTQ attribue à Opron inc., un entrepreneur général, un contrat de réfection de deux viaducs et leurs approches dans la municipalité de Marieville, en Montérégie. Il s’agit d’un contrat à forfait, lequel incorpore le Cahier des charges et devis généraux du Québec («CCDG»). Le travail doit se dérouler en deux phases.

La première phase, qui comprend la reconstruction des ponts et la pose d’un pavage temporaire, a une durée de vingt semaines. Elle doit prendre fin en décembre 2008. La seconde phase, qui comprend la finalisation des travaux de réfection, est prévue au printemps 2009.

Le MTQ a du retard avant même le début du chantier. Les parties reconnaissent dès lors que l’entrepreneur général ne disposera pas de vingt semaines pour la première phase.

Le 30 octobre 2008, après des retards en chantier et des retraits d’exigences de la part du MTQ, les parties se rencontrent pour discuter de l’échéancier. Elles s’entendent pour qu’il y ait accélération des travaux sur l’un des deux viaducs, question de permettre sa réouverture avant Noël. Le MTQ accepte de payer pour les coûts supplémentaires occasionnés par l’accélération, y compris pour les conditions hivernales, selon une entente à prix coûtant majoré, avec conciliation quotidienne. De façon surprenante, aucun procès-verbal, ni compte-rendu de la réunion n’est confectionné.

À la suite de la réunion, l’échéancier est modifié. Il est convenu d’accélérer les travaux sur un seul des deux viaducs, dans le but de terminer la première phase pour ce viaduc avant Noël et le rouvrir à la circulation.

L’entrepreneur général ne réussit pas à rouvrir le premier viaduc dans le délai convenu. Les travaux se prolongent jusqu’en février 2009. De plus, pour tenter de respecter les délais finaux et éviter de fermer les deux viaducs en même temps, la reprise des travaux est devancée en mars 2009. Les travaux sont complétés sur les deux viaducs à la fin de juin 2009.

En mai 2009, l’entrepreneur général avise le MTQ des éléments de sa réclamation. Il intente une poursuite trois ans plus tard.

Entre temps, à deux reprises, un sous-traitant avise le MTQ de sa créance impayée, lequel effectue des retenues sans avertir l’entrepreneur général. La retenue est libérée en octobre 2013.

En première instance, la Cour supérieure fait, sur la base de ce qui précède, deux constatations-clés.

Premièrement, dès le coup d’envoi des travaux, le MTQ savait que l’entrepreneur général ne disposait pas des vingt semaines d’exécution prévues pour la première phase. Par conséquent, le MTQ savait que l’entrepreneur général ferait de son mieux pour terminer la première phase avant Noël, mais ne le garantissait pas.

Deuxièmement, un avenant verbal a été conclu le 30 octobre 2008. L’accélération devait être payée selon le mode de la « régie contrôlée ». Selon le tribunal, les parties ont choisi d’oublier les retards encourus à cette date et ont jeté les bases d’une nouvelle entente. L’avenant concerne le mode de rémunération, mais le CCDG (qui contient de nombreuses dispositions sur les avenants au prix coûtant majoré) continue de déterminer ce qui peut être réclamé par l’entrepreneur général.

Sur la base de ces deux constatations, le tribunal de première instance fait droit en partie à la réclamation de l’entrepreneur général.

II - La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel confirme les deux constatations factuelles de la Cour supérieure. Aucune partie ne conteste en appel l’existence de l’entente verbale d’octobre 2008. Les parties ne s’entendent cependant pas sur sa portée, et par voie de conséquence, sur la recevabilité des réclamations de l’entrepreneur général. Les parties divergent également d’opinion quant à la nécessité de respecter la procédure de réclamation prévue au contrat initial.

La Cour d’appel, à l’instar de la Cour supérieure, conclut que tous les chefs de réclamation de l’entrepreneur général sont liés à l’entente verbale d’octobre 2008. Parce qu’elles ont convenu d’accélérer les travaux sans tenir compte des retards déjà encourus au 30 octobre 2008, tous les coûts additionnels liés aux travaux jusqu’à la mi-février 2019 relèvent de cette entente à prix coûtant majoré. La Cour d’appel est d’avis que l’entrepreneur général n’a jamais garanti que les travaux seraient terminés pour décembre 2008 et que, même s’il n’y est pas parvenu, il n’a commis aucune faute. Quant aux travaux devancés en mars 2009, la Cour d’appel estime qu’ils sont une conséquence des retards engendrés par l’accélération de l’automne 2008 sur un seul des deux viaducs. Le MTQ y a consenti, du moins tacitement. Ils sont donc, eux aussi, assujettis aux termes de l’entente verbale.

Malgré la conclusion de cet avenant, le MTQ soutient que la procédure contractuelle de réclamation devait être respectée et que l’entrepreneur général est forclos. Ce dernier prétend que la procédure contractuelle de réclamation ne trouve pas application.

La Cour supérieure avait estimé que même si la procédure contractuelle de réclamation devait s’appliquer, l’entrepreneur général n’était pas forclos, et donc que la demande était recevable. La Cour d’appel tranche de façon plus catégorique. Même si le CCDG contient une procédure de réclamation en cas d’imprévus ou de conditions d’exécution manifestement différentes, celle-ci ne s’applique pas à l’avenant:

[61] À mon avis, lorsque l’entrepreneur réclame paiement pour des travaux supplémentaires en vertu d’un avenant au contrat, il n’y a rien d’exorbitant au droit commun et la clause 8.8 ne s’applique pas. Il n’est plus question d’un entrepreneur qui se croit «lésé d’une façon quelconque par rapport aux clauses du contrat», de «difficultés qui, selon lui, justifient son intention de réclamer», de « grief» ou de «solution ». Au contraire, la difficulté a été réglée, les parties ont convenu d’un avenant au contrat conformément à la clause 8.4 du CCDG et l’entrepreneur réclame en vertu de cet avenant et non en vertu de la clause 8.4.4 et la procédure exceptionnelle prévue à la clause 8.8.

Enfin, la Cour passe en revue tous les chefs de réclamation de l’entrepreneur général, à la lumière de l’avenant conclu. Par le fait même, la Cour rappelle le principe du prix coûtant majoré : « le propriétaire doit rembourser à l’entrepreneur le prix coûtant du travail additionnel plus une majoration2 ». Le CCDG détaille ce qui est compris3 . Comme le CCDG est complet, il a préséance. Les réclamations doivent reposer sur lui et non sur le RCTCOP.

Sur la base du CCDG et du principe général du prix coûtant majoré, les réclamations de l’entrepreneur général (location d’équipements pour l’accélération des travaux, frais généraux du chantier en janvier et février 2009, coûts réels encourus en janvier et février 2009, etc.) sont accordées, sauf celles pour lesquelles il n’y a pas de pièces justificatives ou pour lesquelles un crédit est accordé au MTQ. On retient entre autres que les heures supplémentaires du surintendant de chantier en lien avec l’accélération constituent un élément de réclamation valable. Dans un contrat à prix coûtant majoré, les coûts de main-d’œuvre sont inclus. Selon la Cour, le CCDG établit que le temps supplémentaire des employés qui travaillent sur le chantier (dont le surintendant) fait partie du « coût de la main-d’œuvre », alors que celui des employés qui travaillent plutôt au bureau du chantier (ou ailleurs) est inclus dans les frais d’administration.

Enfin, la Cour d’appel considère, comme la Cour supérieure, que le MTQ a été fautif en procédant à une retenue en raison d’une créance impayée d’un sous-traitant, mais sans faire les vérifications imposées par le CCDG. Le MTQ n’a pas avisé l’entrepreneur général et ne lui a pas offert pas l’occasion de présenter une quittance. Cette conclusion s’appuie cependant sur une disposition du CCDG qui, depuis les faits de cette affaire, a été modifiée.

III - Quoi retenir ?

Que ce soit en vertu du Code civil du Québec ou du CCDG, en présence d’un contrat forfaitaire, l’entrepreneur général doit faire les travaux à gain ou à perte et supporter les imprévus. Le CCDG prévoit un assouplissement à ce principe : l’entrepreneur général dispose d’une procédure de réclamation en cas d’imprévus ou de conditions d’exécution manifestement différentes. Il doit d’abord aviser le MTQ dès qu’il a connaissance des problèmes. Par la suite, si le désaccord persiste, il doit déposer sa réclamation au MTQ dans les 120 jours suivant la date de la réception de l’estimation finale des travaux. Les tribunaux ont maintes fois reconnu que cette procédure de réclamation doit être respectée de façon stricte, sous peine de déchéance du droit.

Cependant, lorsque la réclamation de l’entrepreneur général porte sur un avenant qui prévoit une rémunération à prix coûtant majoré, la procédure contractuelle de réclamation n’entre pas en ligne de compte. Les tribunaux en viennent à appliquer ce principe même lorsque l’avenant est verbal. Même si, dans l’affaire commentée, l’entrepreneur général a gain de cause en se prévalant d’un avenant verbal, il va sans dire que l’écrit reste toujours la meilleure façon d’éviter un débat quant à l’existence et la portée d’un avenant.

Celui qui prétend pouvoir contourner la procédure de réclamation peut donc maintenant invoquer, en sus des cas où il y a présence d’une renonciation expresse ou tacite par les parties, la conclusion d’un avenant, qui ne relève plus du contrat à prix forfaitaire.

Enfin, quant au RCTCOP, on retient qu’il ne peut prévaloir sur les termes d’un contrat. Il peut, tout au plus, servir d’outil d’interprétation en cas d’ambiguïté. Or, le CCDG est par sa nature assez complet. Quant aux dommages et aux pertes réclamés en vertu du contrat, ils doivent être réels et faire l’objet de l’administration d’une preuve complète.

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1. 2022 QCCA 98.

2. Ibid., par. 71. 3. Par exemple, la majoration est de 15% et elle couvre les frais généraux, les frais d’administration et les profits

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